Art dans la ville

Lisa raguère, Reims, 1986.


Relevant du passé ce qu’il y a de plus essentiel. Brillance, facilité, décuplement de l’esthétique au service du détail : un baroque introverti qui, avant même d’interroger le réel, le soupçonne de devoir s’évanouir, de démériter le plaisir, inaugurant par là une œuvre qui serait sur le déchet de l’art. Non dans le mineur comme s’en méfie avec force G. Scarpetta, mais dans le plaisir d’un objet livré à lui-même par son éclatement, par la jouissance de repères déjà médiatisés, déjà codifiés, déjà vus.

Où le populaire emprunterait, non plus à « l’innocence », mais au mythe des termes extrêmes destinés à dématérialiser tout support. Supports médiatiques par excellence, les objets chez Christian Bouillé perdent leur signification pour ne laisser opérer que leur action : canne à pêche, tendeur, téléphone, ( fil orienté vers l’extérieur du tableau), timbre-poste, parachutiste, eau, toujours conducteur dans un espace que des éléments comme l’air (ciel et terre souvent confondus), le sable, assureraient d’une marque de poussée. Objets chargés de percer l’instabilité du message, confiant à ceux qui le transportent le soin de faire de sa violence la parole de l’inassouvi. Un bruitage excessif mais non parasitant d’un monde prêt à se liquider où la violence qui nous immunise inocule une perte, une négation de l’histoire, virus d’une déculpabilisation, d’une volonté de protection obligée, d’une allégeance à la non pensée et provoque la rencontre d’une matière, d’une contradiction livrée comme le seul regard encore  bienfaisant et possible dans ce lieu d’erreur qu’est l’humain.

Un instant, l’homme se confond avec sa propre origine. Touaregs au regard horizontal, il a tourné le dos aux derniers objets qui le nommaient, au désert, « loin du dire », laissant à la mouvance de son apparente immobilité affleurer la présence du monde, laissant à la matière le soin de charger son dos de voyageur, de brouiller une dernière fois l’image qui le retenait. De la nuit du sol, chargée de l’immatérielle lumière, brûlé de désir, à l’abîme de la parole, l’homme porté aux dernières extrémités.

L’homme transversal, le mythe anobli de retrouver la fécondité de ses attributs de voyage, pauvreté, rudesse, faille creusée dans le roc de ces paysages de verdure et de soleil comme une lame. L’homme western, couché en travers de la verticale, bottes mexicaines, chapeau dédoublé, troublé d’une dentelle – Rembrandt, Monsu Desiderio, Goya,  aveugles migrateurs – l’homme devenu mutation de la matière rebondissante du désincarné. Le coup de poing stabilisé d’un mutant. Le geyser, la pulsion vive, le personnage réinventé d’une science-fiction sans images, sans représentation. Le Touareg, l’homme bleu, devenu par le support du mythe le propulseur hors planète, l’intégralité d’une matière où le chapeau, indispensable élément des personnages de Bouillé, casquette, bonnet, parachute, chapeau melon ou de soleil, turban, leur emportent la tête, muée en couvre chef de l’histoire, assurant la chasse gardée aux fermetures. L’art de fustiger l’essentiel, de brûler les étapes, l’art surtout de comprendre que les gares ne seront plus jamais un lieu définitif d’arrêt mais toujours le passage de ce qui sera encore à lire, la courbe du rail, l’heureuse définition de ce qui s’égare, d’une soumission au rectiligne, l’harmonieuse échelle d’une catastrophe. Quand le regard est témoin de son détournement. « Et ne croyez pas aux montées raides, elles sont une affaire d’humeur – les sommets les plus hauts, on ne peut pas les conquérir, on ne peut qu’y monter en promenade. » P. Handke.